Les paradis fiscaux : Ronen Palan, un spécialiste de ces problèmes, juge qu'ils sont un corollaire de la mondialisation et que la liste noire ne permet pas de s'y attaquer.
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Les paradis fiscaux : Ronen Palan, un spécialiste de ces problèmes, juge qu'ils sont un corollaire de la mondialisation et que la liste noire ne permet pas de s'y attaquer.
Ronen Palan : « La liste noire ne permet pas de s’attaquer aux vrais paradis fiscaux »
Dans un entretien au Monde, le professeur de politique internationale à la City University of London juge la liste grise « plus pertinente », car « elle place sous surveillance d’importantes juridictions britanniques »Ronen Palan, professeur de politique internationale à la City University of London, explore la question des centres financiers offshore depuis vingt ans. Il a écrit plusieurs ouvrages de référence, dont Les Paradis fiscaux, paru en janvier 2017 (Editions La Découverte).
Que vous inspire la liste noire européenne ?
Il existe une bonne soixantaine de paradis fiscaux dans le monde. Or, aucun des grands centres financiers offshore prisés par les grandes fortunes et les multinationales ne figure sur la liste noire adoptée par l’Union européenne.
Lire aussi : Paradis fiscaux : l’Union européenne a adopté une liste noire de 17 pays
Les « Paradise Papers » et, avant eux, les « Panama Papers », ont dessiné une cartographie de la fraude et de l’évasion fiscales, et l’on sait que l’argent de ces ultrariches ne va pas massivement au Panama, pays de prédilection des Russes ou des Chinois encore miné par la corruption et la criminalité, et encore moins en Mongolie et dans les Samoa, mais aux îles Caïmans, aux Bermudes, dans les îles Vierges britanniques, à Jersey et Guernesey, à l’île de Man, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Suisse, en Irlande, à Singapour et à Hongkong.
Lire aussi : Les « Paradise Papers », nouvelles révélations sur les 350 milliards cachés de l’évasion fiscale
La liste européenne a beau avoir été établie avec rigueur et en fonction de critères objectifs, elle ne permet pas de s’attaquer aux vrais paradis fiscaux et à l’argent là où il se trouve réellement. Elle ne concerne en réalité que des acteurs mineurs de l’offshore ou des acteurs qui vivent de leur propre argent, comme les Emirats arabes unis. La liste grise publiée en marge de cette liste noire me paraît plus pertinente, dans la mesure où elle place sous surveillance d’importantes juridictions britanniques.
Par ailleurs, il est des outils plus efficaces et plus puissants que les listes noires pour combattre les paradis fiscaux, à l’instar de la loi Fatca [Foreign Account Tax Compliance Act] adoptée par les Etats-Unis. Celle-ci laisse les paradis fiscaux faire ce que bon leur semble, mais contraint tous ceux qui veulent commercer avec une entité américaine ou aux Etats-Unis à faire la transparence sur leur actionnariat, leur organisation et leurs revenus, la responsabilité de la collecte de ces informations incombant aux banques. Il n’est alors plus possible de se dissimuler dans un paradis fiscal.
Par paradis fiscal, qu’entend-on aujourd’hui ?
La définition du paradis fiscal évolue. J’identifie trois caractéristiques : un système fiscal avantageux réservé aux non-résidents quand citoyens et entreprises nationales, eux, sont soumis à un taux d’imposition élevé ; un régime fiscal globalement favorable aux multinationales ou à des entreprises dotées d’un statut spécifique (du type International Business Companies) et, enfin, de faibles exigences en matière de reporting (c’est-à-dire de publication d’informations financières).
Ce dernier point explique d’ailleurs qu’aujourd’hui, nous ne pouvons reconstituer qu’une petite partie des revenus déclarés par les multinationales. C’est un sujet nouveau et capital, sur lequel nous sommes en train de travailler.
La volonté politique d’éradiquer les juridictions non coopératives existe-t-elle ?
C’est une question plus complexe qu’elle en a l’air. Le monde de l’offshore s’est professionnalisé et il n’est pas aisé pour les responsables politiques de comprendre ce qui s’y joue. Les paradis fiscaux se sont spécialisés sur des niches différentes et le législateur peine à concevoir des règles s’appliquant à tous. Et puis, s’attaquer à ces centres offshore, c’est se confronter aux « cerveaux » les mieux payés de la planète, des bataillons d’avocats fiscalistes et d’experts-comptables qui passent leur temps à concevoir des mécanismes pour contourner les règles ou exploiter les angles morts de la régulation. Voilà les vrais ennemis. La recherche sur les paradis fiscaux reste insuffisante. D’autant que, désormais, les schémas de fraude ou d’évitement fiscal empilent les structures dans de multiples juridictions.
Il faut aussi voir les Etats-Unis pointer l’Europe du doigt, tandis que cette dernière préfère s’attaquer aux centres offshore exotiques plutôt qu’à ses propres paradis…
C’est tout le paradoxe. Les Américains se satisfont de voir des banques européennes ou suisses aider leurs ressortissants à frauder le fisc, tandis que les Européens jettent l’opprobre sur des géants américains comme Apple ou Amazon. Le problème, c’est toujours l’autre en somme, alors que l’Union européenne, pour ne prendre qu’elle, abrite en son sein des paradis fiscaux-clés comme le Luxembourg et les Pays-Bas. Le fait d’avoir porté à sa tête Jean-Claude Junker, ex-premier ministre du Luxembourg, ne l’aide pas à se réformer.
Comment sont nés les « paradis » ? Sont-ils devenus l’inévitable corollaire de la globalisation financière ?
Les paradis fiscaux n’ont pas été créés par la volonté d’un homme. Il ne s’agit pas d’un système organisé. Ils procèdent en réalité d’un ensemble de règles adoptées à un moment donné de l’histoire, il y a trente, quarante voire cinquante ans, pour répondre à un problème spécifique : tel avantage fiscal pour soutenir le développement de tel territoire. Puis, au fil des années, ces avantages se sont mués en politique globale, comme, par exemple, en Suisse ou au Panama.
Oui, les paradis fiscaux sont devenus le corollaire de la mondialisation. Ils ont acquis un rôle central dans la mesure où le monde des affaires et de l’entreprise cherche par tous les moyens à minimiser l’impôt. Mais non, ils ne sont pas nécessaires à la globalisation. Au contraire, ils créent des dysfonctionnements et des inégalités de plus en plus visibles et de moins en moins tolérées par les opinions publiques. Propos recueillis par Anne Michel
Bernard- Messages : 153
» Joseph Stiglitz : "Les perdants de la mondialisation sont les premières victimes de Trump".Une augmentation du populisme ?
» Après les problèmes économiques, débattre des problèmes culturels ? Shakespeare doute ....
» Le tabou de l'inceste, pour Lévi-Strauss, permet le passage de la nature à la culture : le primatologue Bernard Chapais contest cette théorie ....
» Newton et Einstein ne peuvent expliquer comment les étoîles tiennent dans les galaxies et comment ces dernières demeurent liées dans leurs amas : la matière noire ?
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