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Esclavage colonisation Naissance des clichés et du racisme, par Nabil Wakim

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Message par Bernard Dim 10 Sep - 17:35

[size=32]Comment naissent les discriminations[/size]

Esclavage, colonisation, notre histoire a ancré dans les esprits des stéréotypes tenaces. Des clichés qui engendrent du racisme et perpétuent les inégalités.

Une salle sans charme, une réunion qui ressemble ­furieusement au conseil d’administration d’une PME. Quatre hommes en costume assis autour d’une table devisent, l’air réjoui, sur les résultats de l’entreprise. A peine sont-ils dérangés par l’homme de ­ménage, qui vient vider la poubelle. Un détail ? Les cadres sup sont noirs, l’homme de ménage est blanc. « Merci Michel, vous serez gentil de repasser plus tard », lance l’un des hommes, l’air agacé. « Moi, c’est Jean-Michel. ­Michel, c’est l’autre Blanc », répond dans sa barbe l’employé de ménage. Intitulé Les clichés sont faits pour être retournés, ce sketch de l’humoriste Yassine Belattar, vu plusieurs centaines de milliers de fois sur YouTube et Face­book, renverse les stéréotypes qui imprègnent notre quotidien.

« Un héritage »

Pourquoi est-il encore si difficile d’imaginer un homme blanc en ramasseur de poubelles ? Un Français noir ou arabe en patron du CAC 40 ou en président de la République ? Nos stéréotypes répondent à une mécanique simple, presque animale. Ce que le cerveau ne sait pas ranger, il le classe dans la catégorie la plus proche de ce qu’il connaît. « C’est avant tout un ­mécanisme cognitif, pas forcément ­négatif d’ailleurs, explique Mirna Safi, chercheuse à Sciences Po et spécialiste des questions de discrimination. Notre cerveau a toujours tendance à aller au plus simple. Dès qu’il peut faire des raccourcis, il le fait : c’est une économie cognitive. » Nous ne pourrions pas ­appréhender la complexité du monde si notre cerveau ne faisait pas ce travail de raccourci. « Ces représentations sont inhérentes à la vie sociale : on ne peut pas les éradiquer, ajoute le sociologue de l’immigration Smaïn Laacher, auteur du Dictionnaire de l’immigration en France (Larousse, 2012). C’est une manière de mettre de l’ordre dans son rapport au monde. »

« Pour le dire rapidement, l’Arabe, c’est un peu le voleur rusé et paresseux. L’Africain, la figure du simplet véhiculée par Banania. L’Asiatique en Indochine est, lui, discret et il n’a pas de propension à la rébellion », constate l’historienne Laurence De Cock

Si les stéréotypes sont courants, ils ne viennent pas de nulle part : en France, les préjugés qui concernent l’immigration ont été nourris, depuis plus d’un siècle, par l’histoire de la colonisation. « Ces stéréotypes participent d’un héritage, ­celui d’une histoire coloniale qui n’est toujours pas évacuée, explique la sociologue Nacira Guénif-Souilamas, professeure à l’université Paris-VIII, coauteure des Féministes et le garçon arabe (L’Aube, 2004). Ils sont d’autant plus forts qu’ils puisent dans des ressources anciennes : la France comme puissance coloniale et comme puissance esclavagiste. Ils offrent un répertoire très large d’images et de formules qui peuvent être réactivées facilement. »

Des boîtes de Banania qui trônent encore sur les étagères des cuisines françaises aux caricatures véhiculées par les marques de notre ­enfance, nos esprits sont remplis d’une iconographie coloniale solidement ancrée. « Pour justifier la politique coloniale et son expansion, les puissances européennes ont développé un regard sur les populations colonisées, constate l’historienne Laurence De Cock, spécialiste de l’enseignement du fait colonial. Ce regard a épousé plusieurs formes. Pour le dire rapidement, l’Arabe, c’est un peu le voleur rusé et paresseux. L’Africain, c’est la figure du simplet véhiculée par Banania : il est sympa et se plie aux ordres. L’Asiatique en Indochine est, lui, discret et il n’a pas de propension à la rébellion. »

Ces images ont été construites par la colonisation. « Les Arabes musulmans ont été stéréotypés comme violents au moment de la révolte d’Abd el-Kader contre les colons français dans les années 1830, rappelle Laurence De Cock. Les femmes arabes étaient, de leur côté, dépeintes comme des objets de désir sexuel dans la musique et la peinture orientalistes. » Faut-il voir dans le fantasme de la « beurette » – l’un des termes les plus recherchés en France sur les sites pornographiques – une perpétuation de ce stéréotype ? « Il y a, dès l’époque coloniale, un enjeu d’appropriation du corps des femmes, souligne Nacira Guénif-Souilamas. Pendant la guerre d’Algérie, le dévoilement des femmes était perçu comme un moyen de les faire entrer de plain-pied dans la civilisation. »

Des préjugés aux origines multiples

Mais la colonisation n’explique évidemment pas tout. « Attention, on ne peut pas considérer qu’elle est la seule origine des stéréotypes. Cela voudrait dire que, depuis, les sociétés sont restées figées dans leurs représentations », estime le sociologue Smaïn Laacher. Certains stéréotypes découlent de vagues d’immigration plus récentes ou d‘événements politiques, comme les représentations actuelles des Européens de l’Est.

Si les préjugés ont des origines multiples, ils se rattachent à une histoire particulière : les stéréotypes français sont différents de ceux des autres pays européens, note l’anthropologue américain John Bowen, spécialiste de l’islam en France et en Europe. « L’image de l’Arabe qui coupe la gorge de son mouton est liée à l’histoire violente en Algérie française, remarque-t-il. Elle existe surtout en France et elle continue de façonner la vision des musulmans dans ce pays. Au Royaume-Uni, les immigrés du sous-continent indien sont stéréotypés comme des travailleurs très tournés vers leur famille, plutôt que comme des musulmans. La notion même de musulmans y est récente, alors qu’on parlait déjà de Français musulmans pendant la colonisation du Maghreb. »

« Ces images puisent dans notre histoire collective. Or, si la France est devenue multiculturelle, cela n’a pas été résolu du point de vue du roman national », estime la sociologue Nacira Guénif-Souilamas

Ces images très présentes dans l’iconographie de l’époque coloniale ont su persister dans le temps. L’insulte raciste « bamboula », forgée au XIXe siècle pour moquer le mode de vie des Africains, a ainsi été employée en février par un syndicaliste policier à une heure de grande écoute après le viol du jeune Théo à Aulnay-sous-Bois : « “Bamboula”, ça ne doit pas se dire mais ça reste à peu près convenable », avait-il avancé. Difficile de ne pas voir les similitudes entre les stéréotypes d’aujour­d’hui et la colonisation d’hier, estime Nacira Guénif-Souilamas. « Ces images puisent dans notre histoire collective. Or, si la France est devenue multiculturelle, cela n’a pas été résolu du point de vue du roman national. »

C’est dans le rapport à l’islam et aux musulmans que les réflexes nés de la colonisation demeurent plus vivaces dans l’Hexagone que dans d’autres pays européens, soulignent les chercheurs étrangers. « En France, les musulmans sont toujours traités comme des éléments étrangers à la France, affirme John Bowen. On continue de faire le tri entre les bons et les mauvais Arabes, une différence qui était déjà utilisée par les colonisateurs. Et de considérer que plus on est musulman pratiquant, moins on est intégré. Or, on peut être pleinement français et totalement pratiquant. »

Les riches aussi

Cette mémoire collective a bien sûr une traduction politique. L’électorat du Front national est celui qui a – de très loin – le plus de préjugés. Dans Le Mythe de la dédiabolisation du FN (La Vie des idées, juin 2015), la politiste Nonna Mayer souligne que, pour 45 % des sympathisants du FN, l’expression « sale Arabe » n’est pas condamnable (contre 17 % pour l’ensemble des Français).

Sur l’islam, les écarts sont plus forts encore : 73 % des sympathisants du FN pensent que les musulmans « ne sont pas des Français comme les autres », contre 25 % des Français, et 76 % ont une image « négative » de la religion musulmane, contre 34 % des Français. « Ces stéréotypes figent l’individu et consolident l’idée qu’il serait le dépositaire de certains traits, analyse Nacira Guénif. Il est toujours renvoyé à quelque chose d’unificateur qui le réduit à une seule identité. »

Lire aussi :   Discriminations : le cercle vicieux des stéréotypes

Si ces stéréotypes sont graves, c’est parce qu’ils « expliquent en partie la reproduction des inégalités », considère Mirna Safi. « Attention, important pour la sélection des locataires : nationalité française obligatoire, pas de Noirs », précisait ainsi sans détours, en décembre 2016, une fiche interne d’une agence immobilière Laforêt. « Les discriminations sur le marché du logement reposent largement sur des stéréotypes sur les modèles familiaux, note Mirna Safi, qui a participé à l’enquête « Trajectoires et origines », l’étude la plus aboutie à ce jour sur les immigrés en France. L’image de la famille africaine nombreuse et bruyante est très forte. Cela bloque fortement l’accès au logement de ces populations. »

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Portrait extrait de la série « Délit de faciès » du photographe Emmanuel Pierrot. EMMANUEL PIERROT / AGENCE VU

Comment prouver que le stéréotype ethnique produit de la discrimination ? Une équipe de chercheurs du CNRS a mené un testing sur l’accès au logement des Français d’origine maghrébine. Ils ont répondu à des centaines d’annonces immobilières en présentant des dossiers similaires – exceptés les noms. « Deux de nos individus fictifs signalent par leur patronyme une origine française, les deux autres suggèrent une origine maghrébine, explique l’économiste Yannick L’Horty. Dans chaque cas, l’un des deux indique qu’il est fonctionnaire, signe rassurant de stabilité financière. » Le résultat est sans appel : obtenir une visite avec un nom maghrébin est deux à trois fois plus difficile qu’avec un nom « hexagonal » – et le fait d’être fonctionnaire n’y change presque rien.

Il en est de même sur le marché du travail : les testings menées par des associations antiracistes ou des chercheurs indiquent que l’on a 30 % de chances en moins d’être convoqué à un entretien d’embauche si l’on porte un nom maghrébin ou africain. « Le profil le plus pénalisé est souvent la femme sénégalaise ou malienne, puis viennent les Maghrébins, les Asiatiques et enfin les noms à consonance française, observe Yannick L’Horty. Dans beaucoup de cas, les discriminations se font “à l’insu” des recruteurs : ils ne font pas des choix racistes ou sexistes en pleine conscience, ils mettent en route des réflexes cognitifs bien ancrés. »

Ces clichés raciaux ont également des conséquences dans la manière dont la justice et la police traitent les descendants d’immigrés – surtout lorsqu’ils appartiennent à certaines « minorités ». Les chercheurs du CNRS Fabien Jobard et René Lévy ont ainsi montré en 2009 qu’un jeune homme arabe ou noir avait six à sept fois plus de chances d’être contrôlé par la police dans le métro parisien qu’un jeune homme blanc. « Les jeunes Arabes ou les jeunes Noirs sont souvent présentés comme ensauvagés et habités par leur nature, commente Nacira Guénif-Souilamas. Il faudrait donc les civiliser, les contrôler. »

« Histoire commune »

Ces discriminations ne concernent pas uniquement les premières générations : elles se perpétuent, voire s’aggravent chez les descendants d’immigrés. L’étude « Trajectoires et origines », menée conjointement par l’INED et l’Insee en 2008-2009 auprès de 22 000 personnes, révèle ainsi que les descendants d’immigrés venus d’Afrique sahélienne ont 49 % de plus de chances de déclarer une discrimination dans l’éducation que les premières générations – 32 % chez les descendants des immigrés venus d’Algérie.

Les descendants d’immigrés venus de Tunisie ou du Maroc ont quant à eux 24 % plus de chances de déclarer une discrimination dans le travail que les premières générations. Pour les immigrés venus d’Europe, les trajectoires sont très différentes : les deuxièmes générations déclarent au contraire moins de discrimination que les premières.

En découle un sentiment d’injustice dans tous les milieux sociaux, car les pauvres comme les riches sont visés. « Même si on est éduqué et d’un statut social aisé, être associé au groupe arabe ou musulman a des coûts sociaux, psychologiques et économiques importants », constate la sociologue Mirna Safi en s’appuyant sur l’étude « Trajectoires et origines ».

« Les choses seraient plus simples si on faisait comprendre aux héritiers d’aujourd’hui d’où ils viennent, quelle est l’histoire commune de leurs parents et de leurs grands-parents », ­affirme Ali Guessoum, de l’association Remembeur

Ces représentations sont si anciennes qu’elles sont difficiles à déconstruire. Et c’est à l’école que devrait commencer le combat contre les stéréotypes, estiment la plupart des chercheurs. « Les choses seraient plus simples si on faisait comprendre aux héritiers d’aujourd’hui d’où ils viennent, quelle est l’histoire commune de leurs parents et de leurs grands-parents », ­affirme ainsi Ali Guessoum, de l’association Remembeur, qui intervient auprès d’élèves dans la région parisienne. Il faut construire une mémoire collective plus nuancée que les préjugés, renchérit Audrey Célestine, maître de conférences en civilisation américaine à l’université de Lille et spécialiste des populations noires aux Etats-Unis et en France.

Insister sur les nuances

Tous deux estiment que l’enseignement de la période ­coloniale et de l’esclavage est essentiel, mais que, comme il peut être mal vécu, il faut insister sur les nuances et choisir avec soin les mots que l’on emploie. « Le chapitre sur l’esclavage est parfois très dur à enseigner quand les élèves sont des Africains ou des Antillais, raconte Audrey ­Célestine. “Vous nous avez vendus”, accusent-ils. Il faut expliquer que beaucoup d’Antillais n’ont pas d’ancêtres esclaves, qu’au moment de l’abolition de l’esclavage des dizaines de villages de métropole ont écrit à l’Assemblée pour la féliciter et qu’il y avait aussi des révoltes d’esclaves. »

« Cette histoire transversale ne concerne pas seulement les enfants d’immigrés : elle s’adresse à tous les Français, qui sont les héritiers de cette histoire multiculturelle. « Leur fait-on lire des auteurs noirs, les expose-t-on à des écrivains qui ont un parcours migratoire ou une expérience de l’altérité ? », interroge Audrey Célestine. « Si l’on veut faire découvrir aux élèves la culture d’ailleurs, il faut leur faire lire des auteurs africains », insiste l’enseignante Barbara Lefebvre, coauteure d’Une France soumise (Albin Michel, 672 p., 24,90 euros). « Les populations de couleur sont absentes des autres manuels, regrette l’historienne Laurence De Cock. Un exercice de maths, c’est toujours avec Clémentine, jamais avec Farah ou Mohammed ! »

Aux Etats-Unis, il a fallu un siècle pour que les catholiques américains, arrivés au XIXe siècle, voient l’un des leurs devenir président : c’était John Fitzgerald Kennedy, en 1960. « Et encore, les protestants s’inquiétaient du danger qu’il y avait à avoir un président plus proche du Vatican que de son propre pays !, rappelle John Bowen. Il n’y a pas de baguette ­magique pour changer les mentalités, cette évolution a pris un siècle. Il faudra peut-être autant de temps pour faire accepter les musulmans comme des citoyens français à part entière. »

Dans certains domaines, les clichés finissent cependant par reculer : c’est le cas de ceux qui ont longtemps été associés aux femmes. « Le contexte socio-économique leur a permis d’entrer sur le marché du travail, et des politiques ­publiques ont permis d’accompagner ce changement culturel, relève Mirna Safi. Pour changer les représentations, il faut à la fois corriger les mécanismes inégalitaires par des politiques volontaristes d’“affirmative action” et soutenir l’accès de certaines populations à des positions visibles de compétence pour casser les clichés. »

A VOIR

« Nous et les autres. Des préjugés au racisme » : exposition, jusqu’au 8 janvier 2018, au Musée de l’homme, à Paris. 17, place du Trocadéro-et-du-11-Novembre, 75116 Paris.
Bonne lecture
Bernard

Bernard

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